jeudi 21 novembre 2013

Keynes, intérêts et religion

 

Le célèbre économiste John Maynard Keynes a laissé une œuvre méconnue et pourtant d'une importance capitale : « Economic possibilities for our grandchildren », publiée en 1930.
Le point central de cette œuvre condamne sans appel le principe des intérêts composés :

« Les temps modernes s'ouvrirent, me semble-t-il, avec l'accumulation du capital qui commença au XVIe siècle. Des raisons, que je suis obligé de passer sous silence dans cet exposé, m'ont induit à penser que ce phénomène eut pour cause initiale la hausse des prix et l'augmentation consécutive des profits qui résultèrent de l'introduction de ces réserves d'or et d'argent transportées par l'Espagne du Nouveau Monde dans l'Ancien. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, la capacité d'accumulation que possède l'intérêt composé et qui, selon toutes apparences, avait été en sommeil pendant de nombreuses générations, se développa avec une force renouvelée après s'être réveillée. Or, la capacité d'accumulation de l'intérêt composé sur une période de deux cents ans est telle que l'imagination est saisie de stupeur.
Qu'il me soit permis d'illustrer ce point par une somme que j'ai calculée. La valeur actuelle des investissements britanniques à l'étranger est estimée à 4 milliards de livres environ. Ces investissements nous procurent un revenu au taux d'intérêt de 6,5 % environ. Nous rapatrions la moitié de ce revenu et en avons la jouissance ; quant à l'autre moitié, soit 3,25 %, nous la laissons s'accumuler à l'étranger par le jeu de l'intérêt composé. Or, voilà 250 ans à peu près qu'un processus de ce genre est en cours.
Je fais remonter en effet les origines des investissements britanniques à l'étranger au trésor que Drake enleva en 1580 à l'Espagne. Cette année-là, il regagna l'Angleterre en rapportant le fabuleux butin du Golden Hind. La reine Elizabeth était un important actionnaire au sein du syndicat qui avait financé cette expédition. Au moyen de sa part du butin elle remboursa la totalité de la dette extérieure de l'Angleterre, équilibra son budget et se trouva disposer encore d'un reliquat de 40000 livres. Elle plaça cette somme dans la Compagnie du Levant, laquelle devait prospérer. Grâce aux bénéfices procurés par la Compagnie du Levant on fonda la Compagnie des Indes Orientales, et ce sont les bénéfices réalisés par cette vaste entreprise qui servirent de base à tous les investissements que l'Angleterre allait effectuer à l'étranger par la suite. Or il se trouve que l'accroissement de ce capital de 40 000 livres au taux de 3,25 % à intérêt composé équivaut approximativement au montant réel des investissements britanniques à l'étranger à différentes dates, et aujourd’hui serait effectivement égal à cette somme de 4 milliards de livres que j'ai déjà citée comme étant le total actuel de nos investissements à l'étranger. Ainsi donc, chaque livre sterling rapportée en Angleterre par Drake en 1580 est maintenant devenue 100000 livres.
Tel est le pouvoir de l'intérêt composé !
A partir du XVIe siècle, avec un crescendo cumulatif après le XVIII·, nous sommes entrés dans l'âge grandiose de la science et des inventions techniques, et cet âge a donné toute sa mesure depuis le début du XIX· siècle. »

Tout est écrit depuis fort longtemps, et il est intéressant de noter que le prêt à intérêt (riba) est fermement interdit et condamné par les juifs (contrairement à ce qui est souvent avancé), les chrétiens et les musulmans :

La Torah

Deutéronome 23-19
« Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, intérêt d'argent ou de nourriture »
Lévitique 25:35
« Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras ; tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin qu'il vive avec toi »
Lévitique 25:37
« Tu ne lui prêteras point ton argent à intérêt, et tu ne lui prêteras point tes vivres à usure »
Ézéchiel 18:5-6-7-8
« L'homme est juste qui, pratique la droiture et la justice, qui ne mange pas sur les montagnes et ne lève pas les yeux vers les idoles de la maison d'Israël, qui ne déshonore pas la femme de son prochain et ne s'approche pas d'une femme pendant son impureté, qui n'opprime personne, qui rend au débiteur son gage, qui ne commet point de rapines, qui donne son pain à celui qui a faim et couvre d'un vêtement celui qui est nu, qui ne prête pas à intérêt et ne tire point d'usure, qui détourne sa main de l'iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un autre, »
Ézéchiel 22:12
« Chez toi, l'on reçoit des présents pour répandre le sang : tu exiges un intérêt et une usure, tu dépouilles ton prochain par la violence, et moi, tu m'oublies, dit le Seigneur, l'Eternel. »
Ézéchiel est pour de nombreux savants de l'Islam Zul-Kifl que l'on retrouve dans la Sourate 21 au verset 85.

Les Evangiles

Luc 6-35
« Mais aimez vos ennemis, faites du bien, et prêtez sans rien espérer. Et votre récompense sera grande. »
D'ailleurs, en 1311, au Concile de Vienne, le Pape Clément V déclara :
« Si quelqu'un tombe dans cette erreur d'oser audacieusement affirmer que ce n'est pas un péché que de faire l'usure, nous décrétons qu'il sera puni comme hérétique et nous ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette hérésie. »

Le Coran

Sourate AL-Baqara verset 275
« Dieu a rendu licite le commerce et illicite l'intérêt. »

Pourquoi l'intérêt (riba) est-il interdit ?
L'intérêt s'oppose à tous les principes moraux et ce pour quatre raisons essentielles :
  1. Il permet de s'enrichir sans travailler.
  2. Il transforme le débiteur en esclave.
  3. Il permet un enrichissement colossal d'un petit nombre « d'élus » et accentue les différences sociales.
  4. Il oblige les peuples pratiquant l'intérêt (riba) à provoquer des guerres.
 
     

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