Le
système économique actuel basé sur la dette est démesurément
financiarisé, un système que condamne l'ensemble
des économistes. Certains pensent que la régulation (Bâle III) va
résoudre le problème. Pour ma part, le problème de la régulation
reste posé car les montants en jeux engendrés par l'hyper
financiarisation sont gigantesques. En effet, la Banque des
Règlements Internationaux (BRI, la Banque des banques) évaluait les produits dérivés (des produits financiers) à 632 579
milliards de dollars en décembre 2012.
Sur
le plan mondial 16 organismes financiers concentrent l'essentiel de
ces produits selon l'ISDA (Association Internationale des produits
dérivés).
L'ISDA est une association
de professionnels regroupant les principaux intervenants sur les
marchés financiers des produits dérivés.
Plus
inquiétant encore, l'OCC, l'Office of Comptroller of the Currency,
l'organisme gouvernemental de tutelle des banques US, dépendant du
trésor américain, démontre que le marché des produits dérivés
aux USA est entre les mains de quatre banques. 4 banques US (page 18/40) concentrent donc 208 000 milliards de produits
dérivés alors que l'ensemble de ces produits représente 223 000
milliards. J P Morgan (page 32/40) par exemple
totalise environ 69 000 milliards de dollars de produits dérivés
avec une exposition totale de 335 milliards de dollars soit 228% de
son capital.
"Il fallait réguler ces produits dérivés parce que
certaines faillites ont révélé les dysfonctionnements de ce
marché", a souligné le commissaire européen, rappelant que
"80% des échanges se font de gré à gré, échappent donc à
tout contrôle et sont des facteurs de risque pour tout le système".
Ces produits passeront donc par des chambres de
compensation, des organismes dotés de fonds propres jouant le rôle de fonds de garantie car tout le monde cherche le Graal : la rentabilité
sans risques.
Mais, c'est Avinash D. Persaud, expert en finance, qui explique le mieux le problème et désigne celui qui
"Les responsables politiques
appellent à la négociation, au grand jour, de tous les instruments
sur des marchés organisés. D’aucuns estiment que, si des
opérateurs ne veulent pas négocier des instruments complexes sur
des marchés organisés (où tout le monde peut vérifier les prix, les quantités
et les modalités) ou faire appel à une contrepartie centrale pour
leur compensation et leur règlement, il
faut exclure ces instruments de la négociation. Il convient de noter
que cette proposition bénéficierait aux marchés organisés, dont
bon nombre ne sont plus des entités mutualistes mais des entités à
but lucratif. Il n’est pas étonnant que certains d’entre
eux prônent ou souscrivent à l’idée que tout devrait se dérouler
sur un marché organisé, ou du moins que toutes les transactions
devraient passer par des chambres de compensation dont, en général, les
marchés organisés sont aussi les propriétaires."
La régulation de la finance nécessite en effet que l'on finance la régulation et la boucle est bouclée.
Il est bon de rappeler que le verbe réguler provient du latin regulare qui signifie diriger.
Cependant l'essentiel n'est pas là. En effet,
ces
organismes pourront-ils fournir les fonds propres nécessaires à la
mise en place des accords de Bâle III, la clé de la régulation ? Quel sera l'impact sur le
financement de l'économie réelle ? Or, l'ISDA est très critique
envers la mise en place des règles prudentielles de Bâle III et indique que « les effets des
règles proposées vont probablement pousser à une disparition de
liquidité significative sur le marché, évaluée entre 15 700 Milliards de dollars à
29 900 Milliards de dollars. » Elle avertit clairement que les effets
pro-cycliques de la mise en place de Bâle III sont contraires à
l'esprit de la régulation qui vise une meilleure résilience des
marchés financiers.
L'ISDA n'est pas la seule à tirer la sonnette d'alarme et Frédéric Oudéa , président directeur de la Société Générale, précisait :
Les propositions tendant à rendre
obligatoire un appel de marge initial bilatéral pour les produits
dérivés non compensés pourraient
entraîner un assèchement important et procyclique de la liquidité
financière et accroître le risque systémique plutôt qu’à le
réduire. En dépit de ses dimensions
apparentes, il n’y a guère plus de 20 000 négociations sur
produits dérivés de gré à gré effectuées chaque jour dans le
monde entier, selon les chiffres du secteur.
Le Shadow banking (finance fantôme) évalué à 60 000
milliards de dollars vers la fin de 2011 se développe de façon
alarmante suite à la mise en place des règles prudentielles. Je
reste donc très inquiet, et je ne suis pas le seul, concernant les
risques d'un deuxième krach (une crise de la régulation ?)
supérieur à celui de septembre 2008.
Il
serait donc judicieux de repenser le volet financier de notre système économique en introduisant une finance basée sur des actifs
tangibles interdisant les paris sur la fluctuation des prix, une finance éthique.
En effet la situation est urgente. Il faut savoir que
contrairement à l'idée reçue, les banques dans leur ensemble ne
s'enrichissent pas, mais plutôt, à l'exemple des éléphants, se
cachent pour mourir et nous assistons à la formidable concentration
du secteur bancaire !
Aux USA, le nombre de banques est ainsi passé
de 13 400 le premier janvier 1988 à 5 984 en mars 2013.
La financiarisation extrême de
l'économie n'existe que lorsque les dettes deviennent colossales,
l'argent réel se raréfiant. La finance actuelle s'est ainsi
développée à la suite de la fin des accords de Bretton Woods, la
fin de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 et
surtout, l'instauration du régime de changes flottants en mars 1973.
Ne l'oublions jamais, ce sont les
réglementations interdisant aux entreprises de se couvrir contre le
risque de change en plein régime de changes flottants qui ont poussé
les institutions financières à imaginer des produits financiers
tels que les swaps (un contrat d'échange de flux financiers entre
deux parties) afin de se protéger.
La finance permet de plus la
transformation de l'argent futur en espèces sonnantes et
trébuchantes bien présentes et le culte
de la croissance finira par engendrer son double opposé, la croissance du culte.
Le temps est donc essentiel et surtout
son étrange relation avec la vitesse. Pas étonnant que les
transactions soient de plus en plus rapides. Cosmopolis, le roman
phare de Don DeLillo (2003) reprenait cette idée. Face à la
baisse des profits, l'homme (l'hybris) s'affronte à Chronos, tente
de le fractionner en unités toujours plus petites, et, sans le
savoir génère le chaos, la fameuse entropie du système.
Je ne peux m'empêcher de penser à
notre cher Sisyphe, condamné à faire rouler éternellement en haut
d'une montagne un rocher, qui en redescendait chaque fois avant de
parvenir au sommet.
Aujourd'hui, Sisyphe a inventé
l'ascenseur et se retrouve obligé de rouler sa grosse pierre dans un
mécanisme, qui va de plus en plus vite...