L'économiste Jean-Claude Werrebrouck est un penseur à part.
Il a créé un blog, La Crise des années 2010 , dans lequel il nous offre des réflexions originales et particulièrement intéressantes.
Son livre, Banques centrales : indépendance ou soumission ? - Un formidable enjeu de société, est une source à laquelle doivent puiser ceux qui veulent penser le problème monétaire.
Dans cet ouvrage, Jean-Claude Werrebrouck nous livre ses réflexions au sujet de questionnements clés :
- "Quel est vraiment le rôle des banques centrales et en quoi leur fonctionnement est-il révélateur de celui de nos sociétés ?"
- "qu'avons-nous fait, nous les peuples, en particulier peuples européens, en créant des banques centrales intouchables, c'est-à-dire proches du sacré ?"
Son dernier article, publié le 17 décembre 2012, intitulé Faux débats sur la banque universelle est un aperçu de l'importance de ses textes.
Merci à Jean-Claude de nous donner sur ce blog son analyse.
Faux débats sur la banque universelle
La
promesse présidentielle de cloisonnement des banques universelles
devient, en ce début
d’hiver 2012, débat à l’Assemblée Nationale. Et avec ce dernier,
beaucoup d’avis donnent lieu à une littérature abondante qui, hélas,
laisse de côté la question essentielle : est-il légitime
de laisser aux banques le pouvoir de création monétaire ?
Ce que,
dans leur jargon, les économistes évoquent sous le terme de système à « réserves fractionnaires ».
Construire un mur
La
question du cloisonnement n’est certes pas inintéressante et il est
éthiquement logique de vouloir protéger les dépôts des
clients des risques pris par le compartiment « marché ». Démarche
d’autant plus logique que la crise financière dans sa version initiale
(2008) a obligé les Etats à intervenir et à
élargir le niveau de protection à peine d’un effondrement
planétaire. Les tenants de « l’aléa moral » souhaitent donc revenir
à un
modèle proche du Glass Steagall Act de 1933. On peut évidemment
longtemps discuter des modalités du cloisonnement : celles du Dobb Frank
Act et de la règle Volcker, celles issues du rapport
Vickers ou celles issues du rapport Liikanen, ou enfin celles
proposées par le gouvernement français et qui seront discutées au
parlement. Toutes ces modalités, concernent très simplement, la
question de l’épaisseur du mur de protection contre un tsunami financier, issu du compartiment marché et des activités spéculatives qui s’y
réalisent, notamment en « propriatary trading », c’est-à-dire la spéculation en compte propre.
Aux
partisans d’un mur dont l’épaisseur fait débat, s’oppose
tout naturellement le lobbying bancaire, dont la puissance repose
d’abord sur les rapports fusionnels entretenus avec les entrepreneurs
politiques et qui, en France, passe aussi et peut-être
d’abord, par ce plus petit
commun dénominateur qu’est l’Inspection Générale des Finances. Les
arguments présentés sont simples : il ne saurait
exister de frontière identifiable entre activités classiques de
gestion de compte et de crédit et les activités de marché ne
sont que le
prolongement nécessaire des premières. Idée d'autant plus
crédible que le client, notamment industriel, ne se découpe pas en
tranches. Ainsi, lorsqu’un client de
la BNP demande un crédit libellé en monnaie étrangère, il met
nécessairement en mouvement les deux compartiments, d’où l’apparent
bien-fondé de l’idée de
banque universelle, en tant qu’entité réduisant les coûts de
coordination et de transaction. La puissance du lobbying français est
sans doute différente de celle du lobbying américain, (ce
dernier est constitué d’une armée 25
fois plus nombreuse que celle représentant l’addition de la totalité
des représentants syndicaux et des
associations de consommateurs) mais il est tout aussi efficace. On
peut donc penser que la loi française sera aussi douce que la loi
Dodd-Frank dont les décrets d’application atténuent grandement une rigueur de simple apparence.
Interdire la spéculation
Il
existe toutefois une autre opposition, plus spécifiquement une
contre-proposition face à l’idée de séparation. Celle-ci
consiste à dire, qu’il ne faut pas cloisonner ce qui ne peut l’être
vraiment, en raison de nouveaux comportements d’adaptation donnant lieu à
de nouvelles créativités financières. Il faut
simplement interdire la spéculation, et transformer en délit
personnel, donc délit touchant directement les dirigeants des
établissements bancaires, le « proprietary
trading ».
L’idée est séduisante mais pose de multiples problèmes quelle que soit la portée d’un texte d’interdiction.
S’il
devient interdit de spéculer en général, il est clair que les
opérations, simples et importantes du point de vue de la
gestion des entreprises réelles, seront transférées vers d’autres
juridictions. A titre de simple exemple, Il semble en effet impossible
de supprimer des instruments comme les marchés à terme de
matières premières ou de devises. L’interdit devient ainsi une
radicale perte de compétitivité bancaire, avec réel danger pour le
pourtant très simple compartiment des dépôts. Si maintenant,
l’interdit porte simplement sur des paris concernant des produits
dont les participants n’en ont pas un usage commun, il y aura
tarissement de la liquidité -la très fameuse perte de
profondeur de marché- et perte d’efficacité des instruments
légitimement utilisés. D’où là aussi, risque de transfert vers des
juridictions plus
clémentes.
L’alternative
au décloisonnement, qui consiste tout simplement à faire disparaitre
l’un des deux compartiments bancaires, est
ainsi peu envisageable et on peut compter sur le lobbying bancaire
pour ne pas faire émerger une telle réflexion, ce qu’empiriquement nous
constatons : la simple et légère taxation ( 0,01%
sur les contrats dérivés) sur
transaction de produits financiers, a déjà donné lieu à bien des
péripéties. Notons d’ailleurs, que cette fort timide
taxation sera de fait aisément contournable, et que seule une mise
en œuvre supranationale serait susceptible d’éviter l’évasion.
Interdire la création monétaire
Il
existe toutefois une toute autre piste, qui n’a pas besoin d’être
repoussée par le lobbying susvisé, tant elle est éloignée
du champ de la simple conscience politique : l’interdit de la
création monétaire par les banques et, ce faisant, le rétablissement de
la souveraineté monétaire.
Personne
en effet n’évoque que pour l’essentiel, la très rapide croissance
monétaire est le fait des banques par le biais des
opérations de crédit. Ce qui signifie, que la masse monétaire, dont
le coût de production est rigoureusement égal à zéro, est constituée
pour l’essentiel de dette donnant lieu à versement de
rente, laquelle est très largement prélevée sur la richesse produite
par l’économie réelle. Et il s’agit effectivement le plus souvent de
rente,
puisque la dette produite, n’a pas nécessairement pour
contre-partie, un investissement productif de richesse supplémentaire,
ce qui est le cas de l’essentiel du crédit immobilier que l’on
titrise, du crédit à la consommation, des titres de la dette
publique et de nombreuses autres formes de dettes supports des activités
de pure spéculation. La dette augmentant plus que
proportionnellement au PIB - ce que mesure bien la masse monétaire
qui augmente 3 à 4 fois plus vite que le PIB – la part de marché de
l’industrie financière n’a cessé d’augmenter, tandis que les
salaires de ses dirigeants augmentaient beaucoup plus rapidement que
ceux de l’industrie. Les travaux d’Olivier Godechot de Paris School of
Economics ont ainsi pu révéler, que si depuis 1996 les
revenus d’activité du top100 des cadres hors finance ont été
multipliés par 3,6, ceux du top 100 des cadres de la finance ont été multipliés par
8,7.
La vraie question du repositionnement des banques, est donc bien dans leur pouvoir exorbitant de prélever une rente sur une monnaie créée à
coût nul, une monnaie dont la base légale est pourtant celle de
l’Etat: "la monnaie comme créature de l'Etat", disait Lerner. Derrière
cette question
se pose donc naturellement la question de l’indépendance des banques
centrales, des banques qu’il est urgent de renationaliser en leur
donnant le monopole de la création monétaire.
Mais
là encore, qui aura le courage de revenir sur plusieurs dizaines
d’années d’abandon de ce bien public qu’est la
monnaie ? Parions qu’aucun parlementaire n’évoquera le problème de
la création monétaire en discutant, de cette tempête dans un verre
d’eau, qu’est le projet de loi sur la fin de la banque
universelle : son propos serait totalement incompris de ses
collègues. Et ce silence ne relèvera d’aucun groupe de pression,
d'aucune intrigue, d’aucun complot, mais du simple et pourtant fantastique poids d’une idéologie dominante, une idéologie qui écrase les hommes.
Décidément la fin de
la crise n’est pas pour demain.
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