jeudi 19 juin 2014
jeudi 5 juin 2014
Bâle III : autopsie d’un échec
"Bâle III : autopsie d'un échec" fait le bilan de la régulation financière qui se heurte désormais au mur des réalités. Cette étude est publiée au Maghreb dans le magazine Le Phare du mois de juin.
Bâle III : autopsie d’un échec
Après le 15
septembre 2008, date de la faillite de la banque Lehman Brothers − marquant le
début de la crise systémique – de nombreux économistes ont souligné la fin du consensus
de Washington mais sont totalement passés à côté du problème financier. Je
rappelle que c’est l’hypothèse de l'efficience du marché selon laquelle les
actifs financiers sont voués à être valorisés à leur valeur intrinsèque qui a
conduit à la suppression des contrôles réglementaires. Que l’on soit clair dès
le début, la régulation financière est une urgente nécessité et je suis un
ardent défenseur de Bâle III, mais force est de constater aujourd’hui son échec
bien que cet accord ait résolu le problème le plus urgent en supprimant le
risque d’effet domino d’une faillite d’une grande institution en organisant le
principe des chambres de compensation. Cependant, le point qui n’a pas été
résolu concerne le fonctionnement de la finance actuelle, je pense en
particulier aux contrats sur produits dérivés et surtout aux Credit Default
Swaps (CDS) qui permettent aux banques de ne plus assumer le risque de
crédit en privatisant les profits et socialisant les pertes. Le Comité aurait dû
mettre en place un processus dissuasif pour les comportements dangereux car,
sur ce point précis, rien n’a changé et, plus grave encore, le danger que
représentent les produits dérivés ne cesse de croître.
L’impossible régulation des produits dérivés
Comme
l’illustre le graphique ci-dessous, et contrairement aux idées reçues, les
volumes de ces contrats ont été très peu impactés par la crise et repartent
même à la hausse depuis 2012.
Les contrats de CDS sont comptabilisés hors-bilan et non financés ce qui permet aux assureurs de pénétrer le marché du crédit
traditionnellement réservé aux banques. On comprend mieux ainsi le montant
exorbitant de 123 milliards de dollars d’aide de la FED accordé à l’assureur American
International Group (AIG) après la crise de 2008, lui permettant de
rembourser les banques qui avaient transféré aux assureurs leurs risques de
crédits immobiliers US.
D’après la BRI,
la valeur notionnelle des contrats de produits dérivés sur les marchés
financiers internationaux est passée de 10 000 milliards de dollars en 1986 à 693
000 milliards de dollars fin juin 2013, plus de neuf fois le PIB de la
planète ! Plus inquiétant
encore, ces contrats sont concentrés au sein de 16 organismes financiers et
quatre banques aux USA totalisent 219 798 milliards de $ de contrats sur
produits dérivés sur un total de 237 000 milliards de $. La Banque des règlements internationaux reconnait que 7% à 8% de
ces montants seulement sont utiles à l'économie réelle en permettant au marché
de s'assurer contre des fluctuations de prix, le reste étant de la pure spéculation
financière !
Par exemple, JP
Morgan totalise environ 70 088 milliards de $ de produits dérivés avec une
exposition totale sur crédit de 303 milliards de $, soit 183 % de son capital
selon le dernier rapport de l'OCC, l'Office of the Comptroller of the
Currency, l'organisme gouvernemental de tutelle des banques US. Je signale
qu’une partie des CDS est adossée aux crédits immobiliers qui connaissent
aujourd’hui encore des taux de défaillance records avec un taux officiel de 8,2
% sur un montant global de 4200 milliards de $. A la fin du dernier trimestre
2013 aux USA, 1352 procédures de saisies immobilières étaient mises en place
chaque jour. La crise est donc loin d’être terminée et le chômage
continuera d’augmenter.
Le dilemme de
Bâle III a donc été le suivant : comment réguler de tels montants sans détruire
le système ? Une véritable régulation aurait en effet provoqué l’effondrement
du système.
Une régulation vidée de sa substance
Bâle III a donc revu ses prétentions à la baisse avec un accord à
minima :
- Suppression sur la version
2010 de la clause initiale de Bâle III (version 2009) prévoyant d’inclure une
majoration spécifique du notionnel pour les dérivés de crédit ;
- Alignement des normes bancaires européennes IFRS plus strictes et
prudentielles − qui
obligeaient les banques européennes à comptabiliser leurs positions en
brut − sur les normes comptables des banques américaines comptabilisant en
net ;
- Assouplissement
des critères de liquidité auxquelles elles seront soumises à partir du 1er
janvier 2015 qui répond aux demandes pressantes des acteurs du secteur mais se
révèle de facto très insuffisant. La base des actifs comptabilisés
comprenant les liquidités inclut désormais des obligations, des actions et
certains types d'emprunts hypothécaires ce qui ne correspond plus aux règles
prudentielles élémentaires. Cependant les banques devront provisionner à
hauteur de 60% cette même année, puis 70% en 2016 et ainsi de suite pour
atteindre 100% en 2019.
Bâle III : un énorme impact !
Nous pouvons ainsi
relever les raisons de l’échec de Bâle III :
- Les facteurs de conversion en équivalent crédit (CCF) de 10 % qui
permettent de faire figurer au bilan une part de l'exposition hors bilan posent
d’énormes problèmes face aux montants colossaux engagés. L'ISDA, une
association de professionnels regroupant les principaux intervenants sur les
marchés financiers des produits dérivés indique que « les effets des
règles proposées vont probablement pousser à une disparition de liquidité
significative sur le marché, évaluée entre 15 700 milliards de $ à 29 900 milliards
de $. » Le Comité de Bâle ayant lissé dans le temps l’application des
accords (à minima), nous aurions donc une perte de liquidité mondiale d’un peu
plus 3000 milliards de $ par an (sur 5 ans).
- Une part significative du marché d'IRD (Dérivés de taux
d'intérêt) reste actuellement non-compensable.
83 000 milliards de $ échappent ainsi à tout contrôle !
- Les produits dérivés étant négociés de gré à gré (Other The
Counter, OTC) et hors bilan, la tentation de ne pas déclarer ceux-ci est forte.
L’intermédiation financière non-bancaire, le shadow banking représentait
71 000 milliards USD fin 2012 selon le Financial Stability Board
du 14 novembre 2013, en nette augmentation depuis 2011, avec + 5000 milliards
soit 7% d’augmentation depuis que le G-20 s'est engagé à adopter Bâle III. Il
faut ajouter à cela, le problème des marchés d’IRD (Dérivés de taux d'intérêt)
soit 154 000 milliards de $ non régulés !
- Plus instructif encore, pour échapper à la régulation et à la
faillite certaines banques augmentent leurs fonds propres au détriment des
dettes souveraines ce qui démontre l’impuissance des régulateurs. La
Banque d'Espagne étudiait ainsi en juillet 2013 le problème des actifs d'impôt
différé représentant 50 milliards d’euros afin d’éviter leur déduction des
fonds propres des banques. Elle suivrait donc l’exemple de l'Italie qui
avait « transformé » dès 2011, les DTA en créances sur l'Etat. On
comprend mieux ainsi comment les banques Italiennes ont échappé au choc violent
subi par les autres pays européens du sud de la méditerranée augmentant au
passage la dette nationale italienne !
- Autre problème, celui de la régulation des CDS et de son impact. Le
19 mai 2010, l'Allemagne prenait la décision unilatérale d'interdire la vente à
découvert sur les 10 plus importantes institutions financières du pays, les
emprunts d'état de la zone euro et les produits dérivés (CDS) qui leur sont
adossés. L’ISDA a examiné l’impact sur la liquidité de la régulation, un an
après son implémentation (1er novembre 2012) et conclut à la chute
de 85 % des SCDS (Sovereign CDS) d’Europe de l’ouest. Selon le FMI, propos
rapportés par l’ISDA, « l’interdiction de la vente à découvert de la
dette souveraine réduit la liquidité des SCDS et une perte d'intérêt dans
l'Union européenne (l'UE) et le marché d'obligation d'État dans l'ensemble, qui
pourrait potentiellement augmenter le coût des emprunts d’Etats,
particulièrement pour les membres les plus petits du bloc. »
- Dans la revue de la stabilité financière de la Banque de France, Avinash
D. Persaud expert en finance désignait celui qui régulera in fine :
« Les responsables politiques appellent à la négociation, au grand
jour, de tous les instruments sur des marchés organisés. D’aucuns estiment que,
si des opérateurs ne veulent pas négocier des instruments complexes sur des
marchés organisés (où tout le monde peut vérifier les prix, les quantités et
les modalités) ou faire appel à une contrepartie centrale pour leur
compensation et leur règlement, il faut exclure ces instruments de la
négociation. Il convient de noter que cette proposition bénéficierait aux
marchés organisés, dont bon nombre ne sont plus des entités mutualistes mais
des entités à but lucratif. Il n’est pas étonnant que certains d’entre eux
prônent ou souscrivent à l’idée que tout devrait se dérouler sur un marché
organisé, ou du moins que toutes les transactions devraient passer par des
chambres de compensation dont, en général, les marchés organisés sont aussi les
propriétaires. »
Nous aurons donc au mieux une autorégulation car la
régulation de la finance nécessite que l'on finance la régulation et la boucle
est bouclée…
L’étude du 27
janvier 2014 de l’OCDE recensait les insuffisances de fonds propres des banques
européennes (au 15 novembre 2015) avec le Crédit Agricole en première place (31,5
milliards d'€). Au total, les besoins en capitalisation des dix banques européennes
les plus en difficulté totaliseront 83,4 milliards d'€. En France, le besoin de fonds propres est d’ailleurs estimé à près
de 50 milliards d’€.
En effet, les banques européennes sont très
exposées aux contrats sur produits dérivés. L’étude d’AlphaValue publiée
le 17 décembre 2013 établissait la liste suivante : Deutsche Bank
(55 600 mds €), BNP Paribas
(48 300 mds €), Barclays
(47 900 mds €), Société
générale (19 200 mds €) et le Crédit
agricole (16 800 mds €).
Les répercussions sur le financement de
l’économie en Europe seront donc colossales malgré l'assouplissement des
critères de liquidité et le chômage continuera d’augmenter. Le projet de taxation du secteur financier, la
fameuse taxe Tobin sera elle aussi un coup d’épée dans l’eau et exclura
toute taxe sur les produits dérivés car celle-ci représenterait un coût
de plus de 37,7 milliards d’euros (EU27) pour les seuls produits
dérivés impactant une poignée de banques avec une taxe de 0,01 % !
Face aux
difficultés rencontrées par l’Europe et les USA certains pensent qu’il faut
désormais se tourner vers les BRICS. Ils se trompent lourdement car les
produits dérivés détenus par les BRICS représentaient 18% du marché mondial au
premier semestre 2011 et ces derniers seront donc eux aussi largement impactés
par les accords de Bâle III.
Impact
de Bâle III sur l’Afrique
Heureusement,
le marché des produits dérivés est encore au stade embryonnaire en Afrique et
concerne seulement les swaps de devises, les swaps de taux
d’intérêt et les contrats à terme de devises. De plus, les fonds propres de
nombreuses banques africaines sont plus élevés que les exigences minimales de
Bâle III (8%).
De très nombreux économistes font cependant part de leurs
inquiétudes concernant l’impact d’une réglementation uniforme sur les économies
émergentes. Pour les économies émergentes prises dans leur ensemble, la
totalité du secteur bancaire aurait besoin de lever 43 % (40 à 50 % selon la
BAD) supplémentaires de ses fonds propres de base T1, soit près de 400
milliards d'euros, ou encore 460 milliards d'€ en incluant le ratio de levier.
En outre, le secteur bancaire devrait détenir 900 milliards d'€ d'actifs très
liquides supplémentaires et de 1 500 à 2 500 milliards d'€ de financement
à long terme ce qui entraînera un resserrement des liquidités.
La Banque Africaine de développement (BAD) a d’ailleurs recensé
trois impacts indésirables :
- baisse de la rentabilité des banques ;
- resserrement des liquidités ;
- développement du système financier parallèle non réglementé.
La conclusion
de la BAD est sans appel et dénonce une « hausse du risque
systémique ».
La suite dans le magazine Le Phare...
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